“Le rôle de la jeunesse est et a toujours été de bousculer les idées reçues et le statu quo” - Interview avec Philippe Heim, Président du directoire de La Banque Postale

Ce n’est pas tous les jours qu’on a l’opportunité d’interviewer un directeur général de banque française sur les sujets jeunesse, climat, modèles économiques… Vendredi dernier, Claire a eu la possibilité de prendre le temps d’échanger avec Philippe Heim, Président du directoire de La Banque Postale et Directeur Général Adjoint du Groupe La Poste, pour lui poser des questions sur les coulisses et les défis de cette “transition juste” à l’occasion des Dialogues de l'économie citoyenne dont nous sommes partenaires avec les Pépites Vertes. Cet article est rédigé dans le cadre d’une collaboration.

Monde en multicrises climatiques, environnementales, sociétales, économiques d’une certaine manière… Quel est le rôle d’une banque et de son dirigeant en ce moment, comment vous sentez-vous ?

Il y a différentes temporalités de crises. Une crise de fond qui est une crise lente, qui est le dérèglement climatique. Une crise de moyen terme qui est la guerre en Ukraine. Et une crise un peu plus immédiate qui est une crise de pouvoir d'achat et de tensions sur les finances des ménages français. Parce que l'inflation pour faire simple, c'est une taxe sur les ménages. Les banques sont au carrefour du financement de la société. Dans ces éléments de complexité et en tant que banque, on doit s'engager dans ce débat.

Nous prenons donc des mesures très concrètes pour protéger nos clients contre ce choc de l'inflation. On a par exemple décidé de geler nos tarifs cette année. Ensuite, les banques ont un rôle économique : elles drainent des dépôts, de l'épargne qui seront fléchés vers des financements ou vers des investissements. Comme nous sommes entreprise à mission, nous avons une raison d'être qui est la boussole de notre action. Nous orientons donc nos financements, nos investissements vers des produits et des solutions à impact.

La complexité à laquelle nous faisons face, c'est le sel de l'action.

Et comment je me sens aujourd'hui ? La banque est un univers qui est exigeant. Nous sommes dans un environnement qui appelle toute notre attention. D'abord, j'aime mon métier parce que le métier de banquier, c'est permettre à des entreprises ou des particuliers de réaliser leur projet, leur rêve dans des moments de vie. Et je le fais dans une entreprise qui donne du sens à son action. Ce qui est passionnant, c'est d'être face à des situations inédites et avec les équipes, arriver à avancer, arriver à progresser. La complexité à laquelle nous faisons face, c'est le sel de l'action. C'est ça qui est passionnant et qui fait que chaque matin je repars avec énergie.

Urgences court terme, ambitions long terme : comment arbitrer ? Est-ce une des raisons qui vous a conduit à vouloir organiser le moment des Dialogues de l'économie citoyenne ?

L'ancien gouverneur de la Banque d'Angleterre, Mark Carney, aujourd’hui envoyé spécial des Nations Unies sur les questions climatiques, parle de “tragédie des horizons”. On est face à une crise de long terme parce qu'on voit bien que le réchauffement climatique, c'est comme la dérive des continents, c'est quelque chose qui nous emporte lentement. Il y aura des effets qui sont certains et des impacts cumulatifs très dommageables, pas forcément ici tout de suite, mais certainement dans 30 ans. Et il y a, au moment où on se parle, encore beaucoup d'incrédulité. On a donc du mal à convaincre tout le monde de s'engager vers la transition.

Être conscient de ce point dans lequel nous amène l'inaction et de prendre ici et maintenant des décisions importantes.

Arbitrer le court terme et le long terme, c'est justement être conscient de ce point dans lequel nous amène l'inaction et de prendre ici et maintenant des décisions importantes. Devenir entreprise à mission, sortir du pétrole et du gaz, c’est un exemple de décision importante.

C’est aussi la raison pour laquelle nous renouvelons ces mercredi 5 et jeudi 6 juillet les Dialogues de l’économie citoyenne. Une des missions premières des Dialogues, c'est se faire rencontrer des gens qui ne se parlent pas, ne se croisent pas. Moi, j'adore l'idée de faire se rencontrer des femmes et hommes politiques, des chefs d'entreprises du CAC40, des fonctionnaires, hauts fonctionnaires de relations internationales et puis ceux que d'aucuns appellent des activistes. Personnellement je les appelle des jeunes turbulents engagés : ils sont nécessaires aux dialogues et occupent une place de choix dans notre programmation.

Ensuite, ce qu'on aime bien, c'est adresser des sujets compliqués, nouveaux, voire polémiques. Par exemple, ce que je trouve très intéressant en ce moment dans le contexte de la guerre en Ukraine, c'est se poser la question : c'est quoi notre vision de la défense au prisme de la soutenabilité ? Parce que si on parle de durabilité et soutenabilité, nous devons nous dire qu’au-delà du vivant qui est menacé, notre modèle démocratique, notre liberté d'expression est aussi menacée. Il faut aussi accepter d'investir dans la défense pour qu'on se batte pour ce qui est nécessaire pour nous. Une autre thématique pas du tout intuitive que nous adresserons lors de la table ronde avec Jean-Marc Jancovici : il faudra ouvrir des usines en Europe pour décarboner. Il va falloir ouvrir des mines dans le Massif central, en Lorraine, parce qu'on a besoin pour le développement des moteurs électriques, de l'électrification en général de métaux rares. Et il y a des gisements en France. Il faut en parler, il faut l'expliquer.


Comment voyez-vous le rôle de la jeunesse dans cette situation ? Votre statut d’entreprise à mission fait-il partie des arguments pour être attractif auprès des jeunes ?


Le rôle de la jeunesse est et a toujours été de bousculer les idées reçues et le statu quo. Je crois que face aux enjeux qu'on annonce, ce rôle est plus important que jamais. L'important, c'est qu’en tant que jeune banque - La Banque Postale a dix-sept ans - nous soyons dans des logiques d'écoconception dans lesquelles les jeunes ont une place à prendre dès le moment où nous pensons nos produits bancaires. Nous avons besoin de cette énergie, de cette créativité, cette agilité et cette sensibilité sur ce qui est pertinent aujourd'hui.

Pour ce qui est des jeunes talents en interne, nous devons donner de bonnes raisons de rejoindre une banque. Je crois que grâce à notre statut d'entreprise à la mission, grâce à nos engagements, nous avons des choses à porter. Nous avons d’ailleurs une membre de Pour Un Réveil Écologique, une organisation pour l’engagement de la jeunesse, au sein de notre comité de mission.

On peut perdre son statut. Ça n'entraîne pas de conséquences financières, mais d'immenses conséquences de réputation.

En effet, la loi prévoit en France depuis la loi Pacte que chaque entreprise définisse une raison d'être, un objet social. Ce dernier ne peut pas se limiter à juste faire des profits et distribuer des dividendes à un actionnaire. Donc, chaque entreprise est invitée à réfléchir à sa mission sociétale, c'est une obligation. Ensuite, on peut faire le choix d'inscrire sa raison d'être dans ses statuts et de changer son statut et donc devenir entreprise à mission. Associés à la mission, il y a trois engagements principaux et pour chaque engagement, à peu près 5 à 6 indicateurs. C'est une étape importante et structurante puisque ça signifie que la raison d'être inscrite dans les statuts devient opposable, c'est à dire qu'on doit mettre en place un fonctionnement de l'entreprise avec un comité de mission qui vérifie que la boussole stratégique se traduit opérationnellement dans l'entreprise. Nous devons publier un rapport d'activité, qui atteste de notre action annuelle et qui montre, année après année, que nos indicateurs témoignent du respect de cette raison. Aussi, nous sommes audités par un organisme tiers indépendant, un peu comme des commissaires aux comptes. Bien sûr, on peut perdre son statut. Ça n'entraîne pas de conséquences financières, mais d'immenses conséquences de réputation.

Afin de bien comprendre le lien entre finance et environnement, pouvez-vous nous expliquer quel est le plus gros impact environnemental d'une banque ? Comment faites-vous pour le réduire ?


La neutralité carbone d'une banque, elle s'applique à plusieurs niveaux.

Il y a comment nous, par notre activité propre, nous avons un impact, une empreinte, plus ou moins importants sur la planète et le dérèglement climatique en particulier via nos émissions. Ce bâtiment dans lequel nous sommes, le chauffage, l'impression des relevés de compte, la lumière qu'on utilise dans les bureaux de poste. Ça, c'est l'impact de notre activité opérationnelle, les scopes 1 & 2 du bilan carbone. Depuis 2018, nous sommes neutres sur ce périmètre opérationnel. Ensuite, il y a l'impact que nous avons à travers les produits, les services que nous vendons à nos clients. C’est le scope 3.

D’ici à 2040, on va verdir notre bilan pour atteindre une neutralité carbone au global. Ca veut dire que d’une part nous allons sortir les produits les plus carbonés et d’autre part nous allons développer des gammes de produits et services qui seront de moins en moins carbonées. Nous lançons par exemple des crédits consommation à impact (financement des véhicules électriques par exemple avec bonification d'intérêt), et d'autres solutions que nous annoncerons aux Dialogues. Par ailleurs, nous développons des produits d'épargne en faveur de la transition (le label ISR, investissement socialement responsable). On agit donc à la fois sur comment la banque fonctionne et comment elle rend ses clients acteurs de la transition, pour parvenir à être neutre à horizon 2040.

Mais effectivement, il n’y a pas que l’impact carbone, il y a aussi le sujet biodiversité. C'est beaucoup plus récent et c'est une thématique qui est arrivée un temps après la prise de conscience climatique. Il existe aujourd'hui des instruments de mesure de votre empreinte, notamment via le CDC Biodiversité, qui a développé des outils de mesure. Mais il ne s’agit pas seulement de mesurer, ni de limiter l'impact négatif, qui sont les deux premières étapes indissociables. Ensuite, il y a un autre temps qui est la régénération. C'est un point sur lequel on est encore en phase de test et de recherche. On collecte de l'épargne dans notre activité de gestion d'actifs pour financer des activités régénératives dans l'agriculture, dans la forêt, pour concrètement régénérer des milieux qui ont été endommagés.

Si vous pouviez revenir vous voir étudiant, à 20 ans, qu’aimeriez-vous vous dire ? Et si vous étiez étudiant aujourd’hui, vous diriez-vous la même chose ? 


“Sois à l’écoute et apprends chaque jour”
. Je pense que tout au long de notre parcours de formation et de vie plus largement, il faut savoir rester ouvert et curieux. Le monde bouge si vite ! Apprendre, se nourrir auprès de son entourage, ses profs, ses collègues, ses expériences est selon moi indispensable pour grandir tout au long de sa vie personnelle et professionnelle. Ah ! C’est très introspectif. C’est la question où il ne faut pas dire quelque chose de trop tarte à la crème… (rires). Moi le conseil que je me donnerais c’est : “fonce, accélère et n'attends pas qu'on te dise d’y aller”. Et le conseil que je donnerais aujourd'hui à un jeune… je pense qu'il serait différent. L’environnement actuel est plus anxiogène que quand j’avais 20 ans. Je dirais : “N'aie pas peur. Fais-toi confiance. Ensemble, vous allez y arriver.” Ça va, c’est pas trop tarte à la crème ?

Merci à Philippe Heim pour le temps qu’il a pris pour répondre à nos questions. Rendez-vous ce mercredi et ce jeudi pour les Dialogues, et notamment lors de la conférence de clôture que Claire animera avec, pour invités, Philippe en discussion avec un panel de 4 jeunes. Live disponible sur Facebook ici.

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